Yv

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Je lis, je lis, je lis, depuis longtemps. De tout, mais essentiellement des romans. Pas très original, mais peu de lectures "médiatiques". Mon vrai plaisir est de découvrir des auteurs et/ou des éditeurs peu connus et qui valent le coup.

Gouiran, Maurice

Jigal

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21 décembre 2014

J'ai récemment lu et aimé une enquête de Clovis Narigou (qui dans la chronologie arrive après celle-ci), L'hiver des enfants volés. La mort du scorpion est un polar comme je les aime, une intrigue avec des rebondissements et surtout un -ou des- contexte(s) fort(s). Ici, à défaut d'une partie de jambes en l'air -mais ce n'est que reculer pour mieux sauter, si vous me permettez l'expression fort adéquate-, Clovis se lance dans une enquête qui le mènera sur le marché truqué de l'art, sur l'art du blanchiment d'argent mais surtout en plein cœur des guerres de Yougoslavie dans les années 1990.

Le rythme n'est pas haletant -Clovis est en retraite-, mais il n'y a aucun temps mort, à chaque page, on avance un peu dans si ce n'est dans la résolution de l'énigme, au moins dans les histoires connexes. Maurice Gouiran, ou plutôt Clovis est vieil anar, un type qui a du mal à supporter les injustices, alors le monde de l'art qui joue avec des millions dans les ventes aux enchères, ça le débecte un peu : "... Sept millions cinq cent mille au téléphone... C'est la litanie traditionnelle des nombres qui enivrent. Les montants affichés sur le tableau bleu grimpent avec une rapidité insolente. On enchérit maintenant de deux à trois cent mille dollars à chaque relance. Plusieurs années de salaire d'un employé. Quant au nombre de gosses du Darfour qu'on pourrait sauver avec ce fric, mieux vaut ne pas y penser..." (p.16) D'aucuns pourront dire que c'est une indignation facile, déjà vue ou lue. Certes, mais Clovis m'est sympathique aussi parce que je partage en grande partie ces indignations-là : la mauvaise répartition des richesses et le dégoût de ceux qui se gavent pendant que d'autres crèvent la faim. Quel intérêt de payer un Picasso, un Derain ou un Jeff Koons plusieurs millions d'euros ? Comme si désormais le prix comptait plus que l'œuvre. Clovis a aussi d'autres détestations, celles des politiques qui promettent et ne font pas, notamment à Marseille où certains quartiers sont totalement laissés à la traîne ; il aime sa ville, ses quartiers métissés dans lesquels on voyage, c'est ce qui fait sa richesse culturelle et humaine, opposée à celle de l'argent.
Mais le polar de Maurice Gouiran, c'est aussi une plongée dans le conflit entre les Serbes, les Croates, les Bosniaques dans les années 90 : "Le dernier génocide du XXe siècle perpétré dans les Balkans plus de quinze ans auparavant." (4ème de couverture). Il ne s'agit pas d'un livre d'histoire, il ne prétend pas expliquer pourquoi la Yougoslavie a explosé, mais il permet de ne pas oublier ce terrible conflit, à nos portes et de comprendre un peu mieux les conséquences. J'avoue pour ma part, être passé un peu à-côté des informations de cette époque, j'avais bien conscience de la guerre mais pas de sa proximité ni de son ampleur. Et puis, comme le dit si bien et si terriblement Clovis, une information en chasse une autre. "Le journal quotidien est construit de telle sorte que les nouvelles du jour effacent celles de la veille. Il faut toujours trouver une nouvelle page." dit Michel Butor, dans les années 90, dans Improvisations sur Michel Butor (édition La Différence), et ce qui est vrai pour la presse papier l'est aussi, sans doute plus prégnante pour le journal télévisé de nos jours.
L'écriture de Maurice Gouiran est alerte, vive, elle alterne les propos graves avec un peu de légèreté notamment dans les échanges très rapprochés de Clovis et Emma. Un polar qu'on ne lâche pas passionnant autant par son intrigue (jusqu'à l'ultime vocable) que par ses contextes et les saillies de son personnage principal, un être libre. Un roman noir qui fait la part belle aux personnages qu'ils soient d'un côté ou de l'autre de la barrière de la légalité (très franchissable). Un polar qui met au centre l'humain, ce n’est pas banal et c'est tellement bien.

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21 décembre 2014

Cette fois-ci n'est pas coutume, je cède ma place et mon blog, le temps d'une chronique à Raphaël, un ami lecteur et peintre, deux qualités qui donnent à penser qu'il y a forcément du bon en lui. Que ce prêt ne mette pas dans la tête de certains l'idée de venir scouatter mon blog, non mais... je ne suis pas prêteur, là c'est juste parce que c'est lui, parce que c'est moi...

La Flandre au 16ème siècle porte en son sein, l’illustre flamand "maitre BRUEGEL". Sous forme de lettres (sans réponse) le messager cupide à l’humour corrosif, Linus MÜND doit enquêter comme faux apprenti pour le compte de l’archevêque de Gravelle commanditaire de son propre portrait et soucieux de connaitre la probité du peintre.
Le choix d’un roman épistolaire est osé, surprenant mais pas anodin. Chaque rapport de lettre est numéroté car la chronologie sera déréglée comme l’état d’esprit du serviteur dévoué. Le fil du livre se joue d’une chronologie en apparence historique mais nanti d’une touche fantastique en fin d’ouvrage.

L’écriture parait compliquée par exemple lorsque E. LEBOT évoque "...l’église qui brûle sans distinction les pauvres, les pesteux, les sorcières…" (p.32). On obtient ainsi pas moins de douze lignes pour cette phrase. Cette surabondance de détails n’est pas sans rappeler la peinture détaillée, chimérique de Bruegel (comme un contrepoint). Certains passages évocateurs valent le détour. Le roman de cent soixante dix pages pourrait refroidir plus d’un lecteur opiniâtre mais en quête de références artistiques. Que l’on se rassure, si l’on veut accepter le style "épais" mais visuel, on obtient assez rapidement un plaisir de lecture qui s’accentue dans la deuxième partie du livre, une fois décrit l’univers historique. Vous apprécierez les remarques pertinentes (de peintre… je crois) comme "trop de Bosch pas assez de Bruegel" (p. 58) L’auteur donne de l’appétit pour l’art qu’il distille au cours des pages avec ces odeurs de térébenthine, les couleurs pers, le vélin, le bleu d’Alexandrie, cette couleur égyptienne symbole d’immortalité.
Nous traversons la vie de gueux parfois austère grise et humide comme l’indique l’un des chefs d’œuvre du Maître, "le triomphe de la mort", reproduit sur la couverture. Un peuple "halluciné a surgi des contours et de la grisaille."(p.57) En opposition, les fêtes paillardes, les fameuses "bamboches" nous plongent avec force et détails : "…des trognes pivoines, carcasses rongées par les cristaux de sel et le feu des lampes tempêtes, âmes décomposées par le ressac de la houle". Les sobriquets sont pittoresques ; "Courtes–pattes, Bats les œufs, la Grenouille, Petits-pieds" (p.73)
Un défaut du livre est d’avoir inclus un commanditaire ainsi que d’autres personnages si obscurs qu’on peine parfois à suivre une histoire au sens traditionnel du terme. Mieux réussies sont les évocations des peintres Patinir ou Bosch.
Au dénouement, l’auteur nous introduit dans un tableau illustrant une débauche de mœurs décousues, ou le dessus et l’envers peuvent se superposer. Là ou la beuverie et la débauche s’encouragent par le fantastique. La charnière décisive selon moi entre une évocation romanesque du peintre et la portée fantastique du livre prend corps à partir de la page 153. Un décrochage narratif s’opère au niveau de l’histoire. La peinture flamande dans son exubérance consent à la magie… entre l’ombre et le feu, peut être …?
Raphaël

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15 décembre 2014

J'ai beaucoup lu sur l'auteur, notamment sur son roman précédent, que je n'ai point lu, Les fidélités successives. J'avais envie de le découvrir. Et bien quelle découverte les amis ! La dévoration ne laisse pas indifférent, c'est un texte parfois dur, à la limite du soutenable sur 4 ou 5 pages dans la toute dernière partie (mais faites comme moi, si vous avez du mal, survolez-les avec les yeux mi-clos, comme quand des images d'un film sont dérangeantes ; bon ce n'est pas facile de lire les yeux mi-clos, mais c'est pour l'idée, après chacun s'adapte à sa manière de se protéger des images violentes). Le reste m'a emballé. J'ai d'abord beaucoup aimé cette histoire en parallèle, celle de la famille Rogis, sa solitude, la peur qu'elle inspire. Une lignée de bourreaux, qui me rappelle le premier roman que j'ai lu de Stéphane Pajot, intitulé Selon les premiers éléments de l'enquête, que je vous invite à découvrir ; un polar bien ficelé et original.

Ensuite, les hésitations de Nicolas devant le défi de se renouveler, de remettre en cause son travail m'ont plu et fait sourire. J'ai tellement reconnu des auteurs qui écrivent toujours le même livre, sûrs qu'il atteindra encore une fois des ventes importantes, ou des chanteurs qui font toujours la même chanson pour mieux la vendre, ou pire, ceux qui font comme ce qui fonctionne pour vendre également. Un écrivain ou un artiste qui change de registre, qui ose aura toujours ma sympathie a priori, quand bien même ce qu'il fait ne me plairait pas, alors que je me lasse très rapidement des imitations, des redites. Un coup de griffe salvateur de Nicolas d'Estienne d'Orves au monde de l'édition qui en rajoute même dans quelques saillies dont la suivante : "Dans le monde de l'édition, j'ai croisé de ces esprits frappeurs qui vouent un culte à Brasillach ou à Drieu, non pour leurs qualités littéraires mais pour leur jusqu'au-boutisme, leur attitude face à la mort. Un nihilisme de salon qui m'a toujours agacé. La pose est commode, de la provocation pour dîners en ville. On choque le bourgeois, on asticote les maîtresses de maison, mais rien ne bouleverse l'ordre établi. Tout comme prendre la défense des Chouans, proclamer son amour de Gobineau, ne pas dénigrer Albert Speer, goûter les pamphlets de Céline ou Rebatet. Des ivresses de planqués, de la branlette pour mandarins." (p.104)
Nicolas Sevin n'est pas un type sympathique, c'est un prédateur, un mec que je n'aimerais sans doute pas avoir comme ami -mais peut-être gagne-t-il à être connu ?-, il prend beaucoup, donne peu, il a besoin de cela pour se nourrir et nourrir son œuvre, surtout lorsqu'il décide de se lancer dans une autre direction. Ses proches en pâtissent, seul Antoine, l'ami de toujours est et reste présent quoiqu'il arrive. Sa mère le boude ou le jalouse, elle qui écrit des livres pour la jeunesse voulait être la seule écrivaine de la famille. Son père, Nicolas ne le voit plus depuis une dizaine d'années, malgré les demandes de celui qu'il l'a si peu élevé et qui n'a pas cru en lui pour son premier roman.

Une très belle écriture que je découvre donc avec ce roman fort, original, dérangeant parfois et absolument pas politiquement correct. Un régal quoi ! De belles phrases sur la création littéraire, sur la famille, l'amitié ; d'autres plus dures mais tout aussi belles sur la violence, le sexe, le sang, la mort. Un roman que j'ai depuis un moment à côté de mon lit, là où je mets mes livres à lire, et dont je repoussais la lecture après quelques critiques mitigées. J'avoue que je l'ai pris un peu timidement, mais une fois entamé, je n'ai pas pu le lâcher. Lu en deux jours. Avec la même intensité qu'un bon polar. Et -largement- approuvé !

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15 décembre 2014

De Samuel Sutra, je connaissais un tome de la série des Tonton, Le bazar et la nécessité. Humour, argot et ambiance film noir français des années 50. Un vrai plaisir quoi ! Mais Samuel Sutra a un autre talent -il en sûrement encore d'autres, mais nous ne sommes point intimes, et quand bien même nous le serions, je ne dévoilerais rien ici, ma déontologie et ma pudeur m'en empêcheraient ... mais si j'avais du croustillant, et qu'il fallait que je choisisse entre pudeur, déontologie et montée vertigineuse de mon audimat ... ma vénalité sous-jacente...- bon, je disais avant de m'interrompre que Samuel Sutra a un autre talent, celui d'écrire de très bons polars, très différents. Ce Kind of Black se passe dans le milieu de la nuit parisienne, le monde du jazz, qu'il connaît manifestement très bien.

Pour ma part, je suis un piètre connaisseur de cette musique, je n'ai pas été élevé là-dedans et n'ai pas vraiment fait l'effort de m'instruire ; il y a pléthore de musiciens, chanteur(euse)s, labels, comment m'y retrouver ? Comme beaucoup, je connais les grands noms, des airs, des musiques mais n'associe pas forcément les uns aux autres. Une relative ignorance en ce domaine qui est le contexte fort et très présent du roman n'est absolument pas un problème ou un frein à la lecture, de toutes façons, une envie irrépressible d'écouter du jazz montera dans tout lecteur normalement constitué, et pour ceux qui comme moi n'y connaissent pas grand chose, eh bien il y a une play-list à la fin (et en l'écoutant, je dois dire que le piano-jazz solo, surtout s'il est joué par Keith Jarrett, c'est absolument magnifique).
S. Sutra écrit là un polar avec les codes du genre, le style, l'ambiance oscille entre le rétro (le jazz et le club le Night Tavern) et le contemporain (les méthodes des flics modernes, ADN et portable). On lit au rythme de la musique. L'histoire et l'écriture sont comme Sarah Davis, la chanteuse, sensuelles, douces, cool, elles chaloupent, belles, souples, pas criardes, juste placées sans excès, on se dit qu'elles sont simplement idéales, comme une bonne chanson de jazz chantée par une diva à la voix envoûtante.
En plus d'être un roman d'ambiance, du genre qui vous reste encore un moment après l'avoir refermé, c'est une enquête qui recèle des surprises, jusqu'au bout. Ne faites pas de pari sur le ou la ou les coupable(s), vous risqueriez de perdre. Oh, rien de renversant, mais c'est bien mené, maîtrisé, et nous lecteurs sommes tellement pris dans l'ambiance jazzy, dans la sympathie qu'on éprouve pour Jacques, sa difficulté d'enquêter dans un monde qu'il adore et sa vocation de pianiste avortée, eh bien, on ne voit rien venir.

Information finale : ce roman a reçu très récemment, en novembre 2014, le Prix du Balai d'or. Je ne vénère pas les prix littéraires, je ne pense pas qu'ils soient forcément un bon moyen pour choisir un bon livre, mais lorsque c'est un livre ou un auteur que j'aime bien qui en reçoit un, je suis ravi pour eux, et ce que je disais juste avant n'a alors plus lieu d'être dit. Donc lisez un lauréat de Prix, Lisez Kind of black. En plus Flamant Noir est un éditeur qui commence (très fort) et qui fait de beaux bouquins, la couverture est belle, et douce au toucher, comme veloutée.

Emma DAYOU

Editions de l'Aube

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15 décembre 2014

Une bonne surprise que ce roman policier féministe. Enfin, j'écris féministe parce que Claire est une jeune femme qui veut prouver aux hommes qu'elle est autant capable qu'eux et parce que Emma Dayou s'exprime sur les violences faites aux femmes, rappelle quelques chiffres terribles : "Dans leur pays censé être un des plus civilisés, une femme sur dix avait été ou serait victime d'un viol." (p.66) Il n'est pas revendicatif, mais énonce des vérités. Le féminisme n'est pas le sujet principal, il est un contexte qui se prolonge tout au long du roman ; il faut bien remarquer que l'un des suspects est un immonde personnage machiste égoïste. Féministe aussi parce que les personnages les plus beaux sont des femmes qui ne sont pas des chiennes de garde, mais des femmes qui cherchent l'appui d'autrui, homme ou femme, pour avancer, pour vivre simplement dans une société rapide qui ne laisse pas le temps aux timides ou aux angoissé(e)s de tisser des relations à leur rythme.

Ce n'est pas un polar qui révolutionne le genre, non, il en reprend les codes, les grandes lignes principales, les stéréotypes pourrait-on dire. Mais, Emma Dayou fait cela proprement, et surtout, elle s'intéresse aux personnages. Pas de descriptions sanglantes, pas de stress dû à des pages insupportables. L'auteure crée d'abord une équipe d'enquêteurs. Claire est légèrement mise en avant, mais son jeune collègue Florian, as de l'informatique est assez présent ainsi que Jan et Ilès, les deux flics plus âgés, à l'ancienne qui ne comprennent pas les nouvelles technologies. On pourrait résuler succinctement : "elle est la tête, ils sont les jambes". L'équipe est hétéroclite, chacun a sa méthode, mais tous se respectent, même si des vannes peuvent parfois blesser -superficiellement- l'un ou l'autre. Charlie Delroy, le commandant veille à ce que son équipe reste soudée et diverse, donc complémentaire, chacun apportant son vécu, sa vision de l'affaire. C'est pour moi un très bon point dans ce polar, et je verrais bien cette équipe poursuivre ses aventures dans d'autres livres.
Emma Dayou ne se contente pas de mettre en place une belle équipe, elle crée également toute une galerie de suspects, des coupables potentiels. Dès les premières pages, je me suis dit que si Paul Heursault était le coupable c'était vraiment trop téléphoné, trop prévisible, et puis, en avançant, chacun des témoins pouvait avoir commis ce meurtre -et l'éventuelle culpabilité dudit Paul Heursault n'était plus dès lors prévisible, parce que d'autres suspects arrivaient-, alors je me suis piqué au jeu de la devinette : qui est le tueur ? Et j'avoue que je n'en savais rien avant qu'Emma Dayou ne le révèle. Sur ce coup, elle m'a surpris tant sur le nom du tueur que sur sa manière de le livrer au lecteur. De la seconde de déception ressentie en lisant ce passage, je suis passé à un sifflement admiratif quant à son usage un peu détourné des codes du polar.
Une belle surprise donc que ce roman policier, qui en plus, d'être vraiment bien ficelé, fait la part belle aux personnages, et tout cela sans se perdre dans des considérations inutiles ou longues : 220 pages, longueur idéale !